Baby foot et trafic de Piastres !
Il
y a quelques jours, alors que je déambulais dans les ruelles de Malate, un des districts
de Manille, je me suis attardé dans quelques boutiques de ce que l’on pourrait
appeler brocanteurs !
Une Piastre
Malate,
J’y étais déjà passé, toujours chez ces mêmes brocanteurs, mais il doit bien y
avoir plus de quinze ans maintenant. À l’époque j’étais à la recherche de Juke
boxes, vous savez ces boîtes à musique qui jouaient des disques vinyles, qui
passaient les derniers succès à la mode, ceci dans les années cinquante et
soixante.
Une
invention américaine ; comme les GI sont restés de très nombreuses années
aux Philippines et qu’ils y ont importé leur culture, ce ne sont pas les Juke
boxes qui manquaient sur l’archipel du sourire.
En fait le juke boxe, un peu l’ancêtre du Videoke sans la possibilité de chanter, peut se définir comme suit : un juke-box est un appareil de jeu de musique partiellement automatisé, généralement une machine à pièces (à sous), qui jouera le choix d'un client à partir de supports autonomes (disques pour les plus anciens et pour faire simple).
Vous aviez une liste de chansons avec leurs interprètes, vous choisissiez en fonction de vos goûts et couleurs et vous aviez la possibilité d’écouter vos mélodies (pas toujours) préférées. Cela permettait également, dans certains lieux choisis, d’inviter votre belle à danser. Elvis, les Beatles, les Shadows, les Beach Boys, Animals, Byrds, Richard Antony (qu’est ce-qu’il vient faire ici celui là), The Kings, Mike Kallagher, John Steel (vous ne connaissez pas, rassurez-vous, moi non plus), etc. j’en passe et des meilleurs.
Oui, mais leurs ‘’Juke boxes’’, à un minimum de cent vingt mille pesos (Php 120.000 ou à l’époque € 2400 à 2500), un peu cher pour moi.
Des juke boxes, il y en a encore quelques-uns à vendre, toujours à des prix aussi faramineux, mais ce je dont je souhaite vous parler dans ce billet est de cet ancêtre de baby foot que j’ai découvert. Parmi tous les objets hétéroclites exposés dans une de ces échoppes, se trouvait un ancêtre, que dis-je, un dinosaure de baby foot.
Rien à voir avec un Bonzini, même des années soixante-dix, non, j’avais devant moi un ancêtre, l’homme de Cro-Magnon du Baby foot. Son prix… hors de ma portée !
Peut-être pas aussi ancien que les nôtres !
Mais, cela m’a ramené quelques années en arrière, quelques dizaines d’années tout de même, la fin des années soixante pour être précis. Le Cambodge, la guerre du Vietnam, Diem Bien Phu, mais déjà loin ; des Français d’Indochine réfugiés, des militaires démobilisés, d’anciens collabos, venus au Cambodge se refaire une santé dans une terre proche, mais qui semblait plus accueillante ; sans oublier le ‘’Milieu.Corse’’ dont une partie avait migré de Saigon à Phnom-Penh.
À l’époque, élève du Lycée Descartes, lycée français au Cambodge, j’y usais mes fonds de pantalons dans la chaleur moite des moussons du Sud-est asiatique.
Et oui, avant que de venir passer ma retraite aux Philippines, j’ai quelque peu sévit
au Cambodge, ainsi que d’en d’autres pays de la région. J’aurai certainement la possibilité de vous en parler plus longuement et surtout plus en détails.
Imaginez un jeune garçon, d’une quinzaine d’années, un peu porté sur la chose, quelque peu déniaisé et arrivant dans un pays comme le Cambodge. Le paradis… sexuellement parlant tout du moins, mais, pas que.
Revenons
au Baby foot et à la piastre !
Pourquoi ai-je intitulé ce billet ‘’Baby-foot et trafic de Piastres’’ ?
Pourquoi ai-je intitulé ce billet ‘’Baby-foot et trafic de Piastres’’ ?
Lycée Descartes, Phnom-Penh
Le
Lycée Descartes se trouvait au centre Nord de Phnom Penh, sur la rue
Christopher Howes, une rue d’environ quatre cents mètres qui s’étirait et
s’étire toujours d’Est en Ouest. À l’Est elle commence sur l’Avenue Monivong,
là où se situait la cathédrale (détruite par les Khmers rouges) et se termine
au Phnom, une colline artificielle, colline qui a donné son nom à la ville et
sur laquelle se trouve, au sommet, un temple bouddhiste.
La rue C. Howes, rue à
sens unique, était doublée pat la Daun Penh Avenue, les deux voies étant
séparées par un terre-plein planté d’arbres et gazonné d’une vingtaine de
mètres de large.
En
sortant du lycée, il suffisait de traverser la rue C Howes, le terre-plein et
l’Avenue Daun Penh, soit une centaine de mètres, pour se retrouver à l’Hôtel Le
Royal. Mais, si en sortant nous prenions à droite, en direction du Phnom, après
moins de deux cents mètres nous étions au Cercle sportif, rendez-vous
incontournable des expatriés, surtout Français.
Bien
qu’ayant mes entrées à l’hôtel Royal, mon paternel travaillant pour une
compagnie qui y louait en permanence une dizaine de chambres, je préférais
nettement rejoindre mes copines et copains au bar du Cercle. Le Cerce sportif c’était
une piscine olympique, de nombreux courts de tennis, une vingtaine de tables de
Ping-pong, des terrains de basket et de volley, une salle de musculation, des
flippers et quelques baby foot. Et bien évidemment le Bar-restaurant qui
dominait la piscine olympique.
Hôtel Le Royal
On
y rencontrait le tout Phnom-Penh des Français ; les militaires (nous
avions une Mission Militaire importante au Cambodge), le Corps Diplomatique, les
enseignants, les planteurs, etc.
Je me souviens très bien du Commandant Paul Grauwin (Médecin-chirurgien à Diem Bien Phu) et de sa 204 décapotable rouge écarlate. (Son livre, « j’étais médecin à Bien Diem Phu », est un témoignage poignant de ce qui c’est réellement passé dans cette terre lointaine, mais qui était néanmoins française).
Je me souviens très bien du Commandant Paul Grauwin (Médecin-chirurgien à Diem Bien Phu) et de sa 204 décapotable rouge écarlate. (Son livre, « j’étais médecin à Bien Diem Phu », est un témoignage poignant de ce qui c’est réellement passé dans cette terre lointaine, mais qui était néanmoins française).
Donc
quelques Baby-foot, du type dinosaures, arrivés là je ne sais d’où, ni par quel
miracle, car il s’agissait des seuls et uniques dans toute la ville. Bien qu’antiquités,
ils étaient munis d’un système de monnayeur afin d’accéder aux balles. Une
pièce, il leur fallait une pièce avant de nous délivrer dix ou douze balles
pour jouer. Et ces pièces, que nous appellerions ici ‘’Token’’ et que nous
achetions au bar… étaient des Piastres. Une grosse pièce d’une Piastre, lourde
et de couleur argentée.
Le Cercle Sportif PNH
La
piastre, du nom de la monnaie locale, était devenue l'une des devises les plus
recherchées de la planète depuis qu'à Paris, en décembre 1945, un obscur
fonctionnaire du ministère des Finances en avait fixé le cours officiel en
métropole à 17 F, soit deux fois sa valeur réelle (8,50 F).
Une
décision prise le 25 décembre qui constitua le plus beau cadeau de Noël fait
par la IV République aux affairistes de tous genres.
Certains
bâtirent ainsi d'immenses fortunes en quelques semaines, voire quelques jours.
Le principe était simple: il suffisait d'habiter en Indochine, plus particulièrement dans l'éphémère république de Cochinchine (région historique correspondant de nos jours aux régions administratives vietnamiennes du Delta du Mékong et du Sud-est) et d'obtenir l'autorisation de transférer en métropole des piastres qui, valant 8,50 F à Saigon, étaient échangées 17 F à Paris.
Le principe était simple: il suffisait d'habiter en Indochine, plus particulièrement dans l'éphémère république de Cochinchine (région historique correspondant de nos jours aux régions administratives vietnamiennes du Delta du Mékong et du Sud-est) et d'obtenir l'autorisation de transférer en métropole des piastres qui, valant 8,50 F à Saigon, étaient échangées 17 F à Paris.
Jackpot assuré ! Le système, destiné à l'origine à favoriser les exportations
de France vers ses possessions asiatiques, se scinda bientôt en deux branches,
l'une « légale », du moins en principe, l'autre illégale.
Ceux
qui œuvraient dans la légalité la plus absolue étaient les soldats du corps
expéditionnaire autorisés à transférer librement en France le montant de leurs
économies. Et Dieu sait si nos braves pioupious furent économes puisque, de
1947 à 1949, ils ne dépensèrent pas une seule piastre en Indochine et firent
fructifier leur pécule. Mieux, le montant des transferts de piastres dépassait
de très loin le total de la solde des militaires. Pourtant, on pouvait voir
marsouins, aviateurs, fantassins et légionnaires vivre sur un grand pied, jouer
des sommes astronomiques au Grand Monde, à Cholon, le faubourg chinois de Saigon,
ou payer avec largesse les prostituées opérant au Parc à buffles, le plus grand
BMC (bordel militaire de campagne) de la capitale cochinchinoise.
En
fait, les militaires, moyennant une honnête commission, servaient de prête-noms
à des hommes d'affaires ou à des petits Blancs soucieux de « faire de la
piastre », comme on fit plus tard du CFA en Afrique.
D'autres
« légalistes », pressentant la fin de la présence française, juraient qu'ils
préféraient quitter cette Indochine où ils vivaient pourtant depuis des années,
voire des décennies. On assista ainsi à un émouvant exode de « partants
définitifs », autorisés à tranferer, sans problème, le fruit de leur labeur et
qu'on retrouvait, quelques semaines plus tard, à la terrasse du Continental,
victimes d'un irrépressible « mal du pays ». Certains partirent ainsi cinq,
six, sept fois, jusqu'à ce que les autorités s'avisèrent de renforcer un peu
plus les contrôles, mettant un terme à ces allées et venues incessantes.
Les
hommes d'affaires, eux, furent saisis d'une véritable fièvre d'achats. Très
vite, Saigon devint la Mecque des firmes d'import-export, créées le plus souvent
de toutes pièces et disposant d'adresses plus ou moins fictives tant en France
qu'en Indochine, souvent dans des bistrots tenus par des amis.
Port de Saigon dans les années 50 |
L'Indochine
française vit ainsi affluer dans ses ports tous les stocks de marchandises
invendables qui s'entassaient dans des entrepôts en France: films de série B,
manuels scolaires périmés, carcasses de navires destinés à la casse, sacs de
ciment inutilisable, parapluies par milliers, pots de chambre... On n'en
finirait pas de dresser l'inventaire à la Prévert des exportations françaises
vers Saigon que leurs commanditaires ne venaient même pas chercher au port ou
qu'on retrouvait dans les terrains vagues entourant la ville.
A
l'Office des changes, rue Guynemer, une vingtaine d'employés contractuels
français et une quarantaine de secrétaires annamites instruisaient les dossiers
au petit bonheur la chance, refusant certains transferts, en acceptant
d'autres, selon des critères que des pots-de-vin judicieusement distribués
contribuaient à assouplir.
Il
faut supposer que les fonctionnaires de l'Office des changes étaient de
véritables Adonis, car d'accortes demoiselles s'amourachaient de ces
quadragénaires bedonnants et se pliaient à tous leurs caprices. Jusqu'au jour
où la belle demandait à son amant de lui rendre un « petit service » : signer
un ordre de transfert de piastres pour elle ou pour des amis très chers.
Détail
curieux: bon nombre de produits importés de France étaient des médicaments, des
lampes torches, des chaussures, des pansements qui, loin d'être mis en vente
rue Catinat, aboutissaient, grâce à des intermédiaires chinois et annamites
insoupçonnables, dans les maquis du Vietminh, partie prenante de ce trafic.
Quand Ganay, le directeur local de la Banque d'Indochine, s'avisa de mettre son
nez dans ces affaires peu reluisantes, son valet de chambre et amant fut enlevé
par le Vietminh en même temps qu'une statuette à laquelle il était très
attaché. Après de longues et discrètes tractations, il récupéra son petit ami
et l'objet d'art, mais perdit l'usage de la parole dès lors qu'il s'agissait du
trafic de piastres.
Rue Catinat dans les années 50
Une
fois le transfert obtenu, on pouvait recommencer à l'infini l'opération. Il
suffisait de faire rentrer illégalement de l'or à Saïgon - le gramme valait 586
F à Paris et 1 300 F en Indochine - ou des dollars via Hongkong, Colombo ou
Macao. Les trafiquants les échangeaient contre des piastres, qui faisaient
l'objet d'un nouveau transfert vers Paris.
Une
première alerte ébranla le petit monde de la Piastre le 18 septembre 1949.
Une
seconde lorsque la presse s'empara de l'affaire.
Le Monde, Libération (celui de d'Astier de La Vigerie), la Croix ou le Populaire consacrèrent de nombreux articles à ce scandale, chacun s'efforçant d'atteindre ses ennemis politiques, le MRP, les radicaux, l'UDSR de Pleven et Mitterrand ou la SFIO. La polémique enfla d'autant plus que le livre de Despuech (un ancien modeste fonctionnaire de l’Office des changes de Saigon), intitulé LE TRAFIC DE PIASTRES (1953), démontrait clairement que la poursuite de la guerre en Indochine n'avait d'autre fin que de permettre à ces firmes et aux escrocs, bénéficiant de solides protections politiques, d'amasser des fortunes considérables.
Le gouvernement de René Mayer, interpellé à la Chambre, dut se résoudre, le 11 mai 1953, à ramener le cours de la piastre indochinoise de 17 à 10 F, ce qui limitait considérablement les possibilités d'enrichissement.
Le Monde, Libération (celui de d'Astier de La Vigerie), la Croix ou le Populaire consacrèrent de nombreux articles à ce scandale, chacun s'efforçant d'atteindre ses ennemis politiques, le MRP, les radicaux, l'UDSR de Pleven et Mitterrand ou la SFIO. La polémique enfla d'autant plus que le livre de Despuech (un ancien modeste fonctionnaire de l’Office des changes de Saigon), intitulé LE TRAFIC DE PIASTRES (1953), démontrait clairement que la poursuite de la guerre en Indochine n'avait d'autre fin que de permettre à ces firmes et aux escrocs, bénéficiant de solides protections politiques, d'amasser des fortunes considérables.
Le gouvernement de René Mayer, interpellé à la Chambre, dut se résoudre, le 11 mai 1953, à ramener le cours de la piastre indochinoise de 17 à 10 F, ce qui limitait considérablement les possibilités d'enrichissement.
Les différentes
commissions d’enquête ne firent jamais l’objet de discussions au Palais
Bourbon, trop de beau monde étant impliqué dans le trafic.
La
Piastre, démonétisée et devenue sans valeur, retrouva au Cambodge une nouvelle
vie, celle de jeton pour Baby-foot et flippers.
Maintenant,
je me pose une question, pourquoi n’y a-t-il jamais eu de flippers et de
Baby-foot aux Philippines ? La législation sur les jeux ?
Si
quelqu’un, ou quelque une, avait des informations à ce sujet, je suis preneur.
Expériences, avis, critiques et commentaires, comme toujours sont les bienvenus.
À toutes et à tous excellente fin de semaine, bonnes vacances aux aoûtistes.
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