Pour
vous parler de cette histoire de ‘’cloches’’, il me faut vous plonger dans le
contexte de l’histoire des Philippines à la fin du 19ème siècle et
au tout début du 20ème.
Oui,
ce pays a une histoire, même si bien peu la connaissent, même parmi les Philippins.
Je suis toujours étonné de voir le peu d’intérêt que présentent l’histoire et la géographie au niveau de la scolarité des enfants philippins.
Je suis toujours étonné de voir le peu d’intérêt que présentent l’histoire et la géographie au niveau de la scolarité des enfants philippins.
Les Philippins
auraient-ils honte de leur passé ?
Se sentiraient-ils rabaissés d’avoir été colonisés, d’avoir été sous le joug de puissances étrangères durant plusieurs siècles ?
Toujours
est-il que les livres scolaires survolent à vitesse supersonique l’histoire
philippine.
Oui Magellan, Lapu-Lapu son adversaire et vainqueur durant la bataille de Mactan en 1521 ; Miguel Lopez de Legazpi, le commandant en chef lors de la colonisation (1565) et futur gouverneur … puis, pratiquement sans transition, l’on en arrive à la période pré-révolutionnaire.
Oui Magellan, Lapu-Lapu son adversaire et vainqueur durant la bataille de Mactan en 1521 ; Miguel Lopez de Legazpi, le commandant en chef lors de la colonisation (1565) et futur gouverneur … puis, pratiquement sans transition, l’on en arrive à la période pré-révolutionnaire.
Il
faut dire que de 1565 à 1821, les Philippines sont gérées comme un territoire
de la Nouvelle-Espagne et administrées à partir de Mexico.
Madrid
ne gère directement sa colonie qu’à partir de 1821.
Suite
à de nombreuses exactions commises par le colonisateur, un sentiment de révolte
prend naissance parmi une certaine élite de la population philippine.
La
révolution philippine contre l’Espagne débute en avril 1896 et se termine deux
ans plus tard par la proclamation d’indépendance avec l’établissement de la
Première République des Philippines.
Toutefois,
le traité de Paris de 1898 qui marque la fin de la guerre hispano-américaine,
transfert le contrôle des Philippines aux Etats-Unis. Cet accord n’est pas
reconnu par le gouvernement philippin qui déclare la guerre aux Etats-Unis le 2
juin 1899.
Le
président Emilio Aguinaldo est capturé en 1901 et le gouvernement américain
déclare le conflit officiellement terminé en 1902.
Les leaders philippins reconnaissent la victoire américaine, mais les hostilités vont se poursuivre jusqu’en 1913.
Une
autonomie partielle est promulguée en 1935, en préparation de l’indépendance
complète du pays prévue pour 1946. Cette période de préparation est interrompue
par l’invasion du Japon en décembre 1941(occupation de décembre 1941 jusqu’au
printemps 1945). L’indépendance est proclamée en 1946 (traité de Manille).
Dans
la ville de Balangiga, ville qui se situe à moins de cinquante kilomètres à
l’est de Tacloban, même si la ville est totalement dévastée, même si l’endroit
ressemble à une zone de guerre après un bombardement, moins de 14 victimes ont
été dénombrées après le passage du super-typhon ‘’Yolanda’’.
Pourquoi
si peu, alors que ces mêmes victimes se comptent par centaines à moins de
cinquante kilomètres de là et que le typhon est passé pratiquement de la même
façon sur les deux villes ?
Certainement
une question de préparation.
L’avenir nous le dira peut-être un jour, que s’est-il passé à Tacloban ?
Durant
l’été de l’année 1901, le Brigadier Général Robert P. Hughues, commandant en
chef du secteur des Visayas, donc responsable de Samar, met en place une
politique agressive de privation de nourriture et de destruction systématique
des propriétés de l’île.
L’objectif,
briser et mettre fin à la résistance dans cette région.
Partie
de sa stratégie est de bloquer les trois principaux ports de la région sud de
la côte, Basey, Balangiga et Guiuan.
A
cette époque Samar était un important centre de production du ‘’chanvre de
Manille’’, le commerce florissant de ce dernier servant en partie à financer
les forces philippines de l’île.
D’un autre côté les Etats-Unis étaient également intéressés à contrôler le commerce du chanvre.
D’un autre côté les Etats-Unis étaient également intéressés à contrôler le commerce du chanvre.
Une industrie vitale pour la Navy américaine, mais également pour l’agro-industrie, comme celle du coton par exemple.
Le 11
août 1901, la compagnie C du 9ème Régiment d’infanterie arrive à
Balangiga afin de bloquer le port et d’empêcher ainsi le ravitaillement de la
guérilla philippine qui se trouve à l’intérieur des terres.
A cette époque Balangiga est la troisième plus importante ville du sud de l’île de Samar.
La
guérilla est sous le commandement du général Vincente Lukban, envoyé à Samar en
décembre 1898 afin de gouverner l’île au nom de la ‘’Première République des
Philippines’’ sous la présidence d’Emilio Aguinaldo.
Les
relations entre Américains et habitants de la ville sont amicales durant le
premier mois de la présence des soldats de la compagnie C dans la ville.
Il y a même une sorte de fraternisation qui s’établit entre les deux parties.
Cela va des ‘’sessions’’ de ‘’tuba’’ (vin de palme) à l’organisation de parties de baseball en passant par des démonstrations d’amitiés.
Puis,
la tension monte, ceci pour plusieurs raisons.
Le Capitaine Thomas W. Connell, commandant du détachement américain, ordonne le nettoyage de la ville en préparation d’une visite de l’inspecteur général des armées.
En
obéissant aux ordres du capitaine les villageois, par inadvertance, coupent des
arbres et des plantes qui sont porteurs de nourriture, ceci en violation avec
la politique de Lukban concernant la sécurité alimentaire.
En
conséquence de quoi, le 18 septembre 1901, environ 400 soldats de la guérilla
envoyés par Lukban font leur apparition dans les environs proches de Balangiga.
Ils viennent pour punir les officiels de la ville ainsi que les résidents, pour
avoir violé les ordres de Lukban au sujet de la sécurité alimentaire et pour avoir fraternisé avec l’ennemi
américain.
C’est
certainement le Capitaine Eugenio Daza, un membre de l’état-major de Lukban et
le prêtre de la paroisse, Father Donato Guimbaolibot, qui sont chargés des
représailles.
Quelques
jours plus tard, sous le prétexte que les habitants font obstacle à son
opération de nettoyage, Connell fait arrêter 80 villageois mâles. Il les fait ligoter
et les retient dans deux tentes sans leur donner la moindre nourriture. De plus
Connell confisque les bolos (machettes) et les réserves de riz.
Ces
événements insultent et mettent en colère les villageois. Avec l’aide des
soldats de Lukban, les civils préparent une opération contre les forces
américaines.
Quelques
jours avant de passer à l’action, le chef de la police de la ville Valeriano
Abanador et le Capitaine Eugenio Daza se rencontrent afin de planifier une
attaque contre les Américains.
Afin
de contrer la supériorité de l’armement des soldats US, les locaux vont jouer
sur le nombre et la surprise. Abanador et Daza déguisent une partie de leurs
hommes en travailleurs préparant la ville pour la Fiesta annuelle ; ce qui
va dans le sens de Connell qui souhaite nettoyer la ville pour la visite
d’inspection.
Du
vin de palme (tuba) en quantité est apporté, il va servir à soûler les Américains
qui seront ivres le jour suivant la fiesta.
Quelques
heures avant l’attaque, les femmes et les enfants sont mis en sécurité et
envoyés au loin.
Afin de cacher la disparition des femmes lors de la messe du matin, 32 hommes du Barrio Lawaan se déguisent en femmes et viennent pour assister au service.
Plusieurs
de ces ‘’femmes’’, portant de petits cercueils, sont contrôlées par le Sergent Scharer
posté en sentinelle sur la grande place, tout à côté de l’église. Ouvrant le premier cercueil avec
sa baïonnette, le Sergent aperçoit le cadavre d’un très jeune enfant qui, lui
dit-on, a été victime d’une épidémie de choléra qui sévit dans le barrio
Lawaan.
Abasourdi, sous le choc, il laisse passer les autres cercueils, sans
savoir que ceux-ci contiennent des bolos et autres armes destinés aux
attaquants.
Au
petit matin du 28 septembre, le lendemain de la Fiesta, entre 06 h 20 et 06 h
45, les villageois se préparent à passer à l’attaque.
Abanador,
qui a en charge la supervision des hommes chargés de travailler sur la place, s’empare
du fusil du soldat Adolph Gamlin, une des sentinelles américaines et l’assomme d’un
coup de crosse sur la tête.
C’est
le signal, le reste des hommes qui se trouvent sur la place se jettent sur les
autres sentinelles et soldats de la compagnie C. Ces derniers se trouvent en
majorité dans le mess improvisé en train de prendre leur petit déjeuner.
Abanador
hurle un ordre, qui est le signal, pour ceux qui ne se trouvent pas encore sur
la place, de passer à l’attaque. Il tire un coup de feu avec le fusil de Gamlin
et touche un des Américains qui se trouve dans la tente qui sert de mess.
Les
cloches se mettent à sonner et le son des conques dans lesquelles soufflent de
nombreux locaux, ajoute à la confusion dans les rangs des soldats US.
Nombreux sont les soldats qui tombent avant d’avoir eu la possibilité de saisir leurs fusils.
Nombreux sont les soldats qui tombent avant d’avoir eu la possibilité de saisir leurs fusils.
Les
quelques survivants, après avoir échappé au massacre de la première attaque, se
battent maintenant pratiquement à mains nues, Certains utilisent des ustensiles
de cuisine, des couteaux à viande, des chaises, tout est bon pour se défendre
contre les piques, les gourdins et les bolos.
Un
jeune soldat utilise une batte de baseball et essaye de fendre le cercle des
assaillants, il ne passe pas, refoulé il tombe et succombe sous le nombre.
Les
hommes prisonniers et ligotés se libèrent et se dirigent vers la mairie.
Simultanément, les hommes cachés dans l’église envahissent le couvent et tuent les officiers qui s’y trouvent. Un soldat non armé de la compagnie C est épargné, il en est de même pour le jeune garçon qui servait d’aide au Capitaine Connell.
Les attaquants occupent maintenant la mairie et le couvent.
L’assaut
contre le mess et les baraquements des soldats US est en train d’échouer. Le
soldat Gamlin, simplement assommé par Abanador, a repris conscience. Il
s’empare d’un fusil et commence un carton sur les villageois. L’effet de
surprise a disparu, les quelques Américains survivants s’organisent, le nombre
de morts et de blessés dans les rangs philippins est considérable ; il
augmente de minute en minute.
L’attaque faiblit considérablement et Abanador
ordonne à ces hommes d’arrêter le combat et de se retirer.
Les
soldats de la compagnie C survivants, les plus valides aidant les blessés,
arrivent à s’échapper en s’emparant d’un bateau. Ils naviguent en direction de
Basey, puis ils seront transférés à Tanauan sur Leyte où ils seront soignés.
Les
villageois enterrent leurs morts, puis abandonnent la ville.
Sur
les 74 hommes de la compagnie C, 36 sont morts en action, 22 sont blessés et
quatre sont portés disparus. Huit vont mourir des suites de leurs blessures, ce
qui porte le nombre des morts côté US à quarante-quatre. Seuls quatre soldats s’en sortent indemnes.
Du
côté philippin l’on dénombre 28 tués et 22 blessés.
Cent fusils et 25.000 cartouches ont été capturés.
Cent fusils et 25.000 cartouches ont été capturés.
Le
lendemain, le Capitaine Edwin Victor Bookmiller, le commandant de la place de
Basey, prend la mer avec la Compagnie G du 9ème régiment
d’infanterie sur le navire à vapeur SS Pittsburg.
Il trouve la ville abandonnée, enterre les morts américains et brûle la ville.
L’incident
fait grand bruit à Manille.
Arrivant à une période durant laquelle la résistance à la colonisation américaine avait tendance à disparaître, l’attaque de Balangiga eut un formidable impacte sur les Américains vivants à Manille.
Arrivant à une période durant laquelle la résistance à la colonisation américaine avait tendance à disparaître, l’attaque de Balangiga eut un formidable impacte sur les Américains vivants à Manille.
Les hommes commencèrent à sortir ostensiblement armés et la femme du Gouverneur, Helen Herron Taft, traumatisée, demanda à être évacuée sur Hong Kong.
Aux
Etats-Unis les journaux comparèrent le massacre de Balangiga à celui de ‘’Little
Big Horn’’ dans lequel le Colonel Custer et 267 de ses hommes trouvèrent la
mort.
Le
Major Général Adna R. Chaffee, gouverneur militaire des Philippines, reçu
l’ordre du Président Théodore Roosevelt de pacifier Samar.
Chaffee
envoya le Brigadier Général Jacob H. Smith à Samar pour accomplir la
tâche : ‘’pacifier Samar’’.
Les ordres
donnés par Smith au Major Littleton Waller étaient les suivants :
« Je ne veux pas de prisonniers. Je vous souhaite de tuer et de brûler ; le plus vous tuerez et brûlerez, plus grand sera mon plaisir … L’intérieur de Samar doit devenir un désert hurlant ».
« Je ne veux pas de prisonniers. Je vous souhaite de tuer et de brûler ; le plus vous tuerez et brûlerez, plus grand sera mon plaisir … L’intérieur de Samar doit devenir un désert hurlant ».
Heureusement
ces instructions ne furent pas suivies par Waller.
Par
la suite Smith ordonna à Waller de tuer toutes les personnes susceptibles de
porter une arme ou d’être hostiles aux Etats-Unis d’Amérique. Lorsque Waller
demanda l’âge limite de ces personnes, Smith répondit que l’âge limite était de
dix ans !
Vous
comprendrez aisément qu’après quelques joyeux massacres, ces deux officiers
passeront en Cour Martiale. Le décompte des victimes de ces massacres varie
considérablement d’un auteur à l’autre, passant de 2000 à plusieurs dizaines de
milliers.
Waller
sera acquitté, Smith forcé à la démission.
Les
cloches de Balangiga.
Balangiga, après être devenue une paroisse indépendante en 1859, attendit quatre ans pour lever les fonds nécessaires à l’achat d’une première cloche. Elle porte la date de 1863, fait 81 centimètres de diamètre pour 76 de haut. Le nom inscrit sur cette cloche, R. San Francisco est certainement le nom du prêtre qui officiait à cette époque.
Balangiga, après être devenue une paroisse indépendante en 1859, attendit quatre ans pour lever les fonds nécessaires à l’achat d’une première cloche. Elle porte la date de 1863, fait 81 centimètres de diamètre pour 76 de haut. Le nom inscrit sur cette cloche, R. San Francisco est certainement le nom du prêtre qui officiait à cette époque.
Une
deuxième cloche un tout petit peu plus petite et portant l’inscription 1889,
Fr. Augustin Delgado, arrive par la suite(1889).
Une
troisième et dernière cloche, la plus petite (61 cm), achetée grâce à
l’initiative de Fr. Bernado Aparecio et qui porte son nom, arrive en 1895.
Les
deux plus petites cloches affichent l’emblème de l’ordre des Franciscains.
Après
l’incident du 28 septembre 1901, la ville a été reprise par les 55 hommes de la
compagnie G du 9ème régiment d’infanterie le 29. Le même jour ils ont été
relevés par 132 hommes des compagnies K et L du 11ème régiment
d’infanterie. Ces hommes vont emmener avec eux deux des cloches et un canon
datant de la colonisation espagnole en tant que prises de guerre.
Le 11ème
d’infanterie, redéployé à Fort D.A. Russel en mars 1904, emporte avec lui deux
cloches et le canon. En 1927 Fort Russel est renommé Fort Francis E Warren.
Depuis
2001, les cloches et le canon, après avoir été restaurés, se trouvent exposés sous
une vitrine de verre, toujours à Fort Warren.
La
troisième cloche, qui était en possession du 9ème Régiment d’infanterie,
est gardée dans le musée de la seconde division d’infanterie au Red Cloud Camp,
à Uijeongbu, en Corée du sud.
Au
milieu des années 1990, sous la présidence de Fidel V. Ramos, une tentative fût
initiée par le gouvernement philippin auprès de l’administration Clinton, afin
de récupérer une partie ou la totalité des cloches. La Conférence des Evêques
Catholiques des Philippines dit que prendre des cloches d’église comme trophées
de guerre est inapproprié.
En
2002, le Sénat philippin approuve la résolution 393, demandant à
l’administration Arroyo d’engager d’urgence des négociations avec les
États-Unis pour le retour des cloches.
Il y
aura à nouveau des demandes faites pour le retour des cloches de Balangiga en
2005, 2006, 2007.
Il
n’empêche, au jour d’aujourd’hui, les cloches demeurent sous le contrôle du
gouvernement américain.
Près
d’un mois après le passage du typhon Yolanda, Viscoso de Lira, le maire de
Balangiga a l’impression que sa ville est négligée par le gouvernement et que
les médias sont partiaux.
« Nous
n’intéressons pas les médias, car nous n’avons eu que treize victimes et pas un
seul disparu ! ». « Mais regardez par vous-même, notre
ville est totalement détruite, rasée, elle n’existe plus ».
« Du
fait des reportages à sensation effectués par les médias au sujet de la
catastrophe sur Tacloban et Guiuan, nous sommes laissés de côté, abandonnés. Il
nous a fallu attendre six jours avant de recevoir un peu de nourriture de la
part des secours ! »
La
chose est vraie, pourquoi ?
Plusieurs équipes de journalistes se trouvaient pré-positionnées sur Tacloban avant l’arrivée du typhon. La ville possède un aéroport qui a été relativement rapidement remis en service, facilitant par là même à son accès ; la 7ème flotte américaine est venue se positionner à proximité ; c’est la capitale régionale et effectivement une place importante et totalement dévastée.
Plusieurs équipes de journalistes se trouvaient pré-positionnées sur Tacloban avant l’arrivée du typhon. La ville possède un aéroport qui a été relativement rapidement remis en service, facilitant par là même à son accès ; la 7ème flotte américaine est venue se positionner à proximité ; c’est la capitale régionale et effectivement une place importante et totalement dévastée.
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