Je me souviens de lui comme si notre première rencontre
datait d’hier, pourtant cela fait plus de dix ans que je l’ai vu arriver pour
la première fois à la maison. Je l’avais bien repéré, il faut dire qu’il se
repérait de loin, depuis quelque temps, passant à pied sur la High Way, la
démarche un peu hésitante et portant un enfant dans ses bras.
Il s’appelait et doit toujours s’appeler Thony K., à la
condition qu’il soit toujours vivant, ce qui, compte tenu de la vie qu’il
menait est loin d’êtres évident. Anthony K. et pour ce qui est du K, croyez-moi
cela en était un véritable… cas, un cas comme je j’en avais rarement rencontré
auparavant !
Ocean Villas, Puerto Azul
Un grand gars d’un bon mètre quatre-vingt-dix, blond aux
cheveux ondulés, aux yeux bleus, un beau gosse d’une quarantaine d’années qui
plaisait aux femmes… au début d’une rencontre tout du moins, pour ce qui est
dans la durée c’est une autre histoire.
Large d’épaules, musclé, un gars solide, mais qui traînait la patte suite à un
accident de motocyclette et à quelques opérations de consolidation qui le
faisait ressembler, quelque part, à l’homme qui valait trois milliards.
À la différence que, au lieu de courir plus vite… lui traînait la patte. Certainement pas les mêmes chirurgiens.
À la différence que, au lieu de courir plus vite… lui traînait la patte. Certainement pas les mêmes chirurgiens.
Américain de l’Amérique profonde, après pas mal de
conneries dans son petit coin de campagne, il s’était ‘’exilé ’’ au
Mexique, où il avait eu pas mal d’aventures, puis en Alaska.
Là, un de ses jobs était videur dans une boîte de nuit et comme il finissait
généralement les soirées totalement bourré, il se battait pratiquement chaque
semaine et terminait régulièrement au poste de police local. Poste de police où
il était connu comme l’ours blanc et où les policiers, sympa avec lui, le
laissaient dessouler tranquillement jusqu’au milieu de l’après-midi suivant sa
cuite.
Certainement suite à quelques conneries de plus dans sa
froide Alaska, il a débarqué un jour aux Philippines, barbu et les cheveux
descendants jusqu’aux reins. J’ai eu l’occasion de voir quelques photos prises
lors de son arrivée sur l’archipel, l’Orang Outang de service, il n’y a pas
d’autre mot pour le décrire et encore, c’est presque une insulte pour la beauté
du grand singe. Il a rapidement compris que cheveux longs et barbe n’étaient
pas de saison aux Philippines et après un passage chez le Barber shop local, il
a repris un aspect plus humain.
La jeune beauté accouche d’une petite fille qui sera prénommée Jessica. Mais le couple ne fonctionne pas aussi bien que cela. Lui, coureur de jupons invétéré, saoul comme un cochon jour et nuit et ses finances sont maigres. Si ma mémoire est bonne, il vivait sur une petite pension que lui versait son assurance suite à son accident. Cette assurance était à l’époque, toujours si ma mémoire est bonne, de l’ordre de vingt-cinq mille pesos (25.000 pesos équivalent de € 400 à 450). Même si la vie est relativement peu chère de nos jours, elle l’était nettement moins il y a une douzaine d’année, cela lui permettait de vivre, mais sans faire beaucoup d’extras.
Ce dont je me souviens de ses extravagances, lorsqu’il se trouvait à Manille, c’est de son
séjour en prison. Cela l’avait semble-t-il profondément marqué. Comme il me le
racontait : « comment dormir à trente dans une cellule qui doit
faire dix mètres carrés, qui est une fournaise, avec des gens pas toujours
sympa et dont je ne parle pas la langue ?».
Il était devenu cheval, il lui arrivait de s’endormir debout, maintenu dans cette position par ses codétenus.
Prison philippine
L’intervention d’un membre des services du consulat
américain lui permettra de bénéficier de quelques améliorations dans sa
condition de détenu. Une cellule plus grande avec seulement deux autres détenus,
un ventilateur pour rafraichir ou tout du moins ventiler l’atmosphère et une
nourriture plus conforme à son statut d’étranger, son statut de ‘’Kano’’
Comme tout s’arrange toujours au pays des 7.107 îles, il
ressortira rapidement de sa geôle, après avoir payé les frais d’hospitalisation
du tricycle driver raccommodé et de quelques milliers de pesos destiné à
compenser le préjudice physique subit par ce dernier.
La situation du couple se détériore au fil des jours et
des semaines et la belle-mère, s’apercevant de son erreur, décide de changer
son fusil d’épaule. Elle a de nouvelles vues pour sa fille ; un Américain,
retraité de la Navy, avec une pension qui lui semble correcte et qui apparait
comme fortement intéressé par sa petite poupée. Problème, c’est un ami de
Thony !
Qu’à cela ne tienne, il suffit d’offrir quelques
bouteilles à notre ami Thony afin que, totalement saoul et endormi, il laisse
rapidement sa place à l’amant et ami. Pour faire bonne mesure, de temps en
temps on lui offre une petite, pas un homme à refuser ce genre de cadeau notre beau
blond ondulé et il consomme, les filles comme l’alcool.
La rivière à Ternate
La situation devenant rapidement intenable il décide de partir. Mais en
emmenant sa gamine, la petite Jessica, avec lui ; ainsi que quelques meubles
et appareils divers, des bricoles achetées avec sa pension.
Pourquoi a-t-il atterri à Ternate ? Je ne sais pas, j’avoue ne pas me remémorer de la chose, mais me l’a-t-il dit ? Sincèrement je n’en ai pas le souvenir. Peut-être du fait qu’à l’époque Ternate était le terminus. La route qui mène de nos jours à Nasugbu était encore en projet, dans les cartons dirons-nous. Donc, un peu comme ces squatters qui arrivaient à Ternate après avoir quitté la capitale, notre ami Thony a débarqué un jour dans notre petite ville de province et s’y est installé pour quelques temps. Terminus, tout le monde descend.
Donc, un jour, alors que nous habitions encore dans la
villa de Sapang, débarque à la maison ce grand gars un peu disloqué. Il se
présente comme un Américain, nouvellement installé à Ternate, qui a perdu son
portefeuille avec tout son argent à l’intérieur et qui souhaiterait m’emprunter
quelque argent, ceci pour quelques jours, jusqu’à ce qu’il reçoive sa pension qui
tombe régulièrement tous les mois. Il se propose de me laisser son passeport en
garantie, passeport qu’il sort d’une vaste poche d’un short blanc. Il me tend
le passeport, sur lequel je jette un rapide coup d’œil.
Gonflé le mec, on se rencontre pour la première fois et
directement il voudrait essayer de me taper.
Afin de connaître un peu mieux le personnage, je lui demande de
m’expliquer comment il a fait pour perdre son portefeuille. Et là, il entre dans
des explications qui ne vont nullement me convaincre : « Je me
trouvais dans un bar et je me suis rendu aux toilettes. Là, j’ai baissé mon
short et c’est certainement à ce moment que mon portefeuille a glissé de la
poche arrière de mon short ». Je ne suis pas vraiment convaincu de son
explication et je lui pose la question : « Comment as tu fais pour
payer ? ». « J’avais payé d’avance ».
Le quartier de Thony à Ternate
La somme qu’il souhaite m’emprunter n’étant pas d’un montant considérable, je lui demande s’il n’aurait pas quelque chose de plus tangible à m’offrir en garantie. Un passeport c’est peut-être bien, mais que fais-je avec ce document si le gars, que je rencontre pour la première fois, disparait dans la nature philippine ? Je sais bien qu’il existe des trafics de documents officiels, mais ce n’est pas, loin de là, mon secteur d’activité.
Il me répond qu’il a un téléviseur, une chaine HiFi, une
table, des chaises, un réfrigérateur, un sofa, deux fauteuils, etc.
Un des hauts parleurs de ma chaîne venant tout juste de tomber en panne, je pourrais éventuellement être intéressé par ses speakers, à la condition toutefois que ceux-ci soient compatibles. Puissance et résistance ohmique.
Un des hauts parleurs de ma chaîne venant tout juste de tomber en panne, je pourrais éventuellement être intéressé par ses speakers, à la condition toutefois que ceux-ci soient compatibles. Puissance et résistance ohmique.
Il louait une petite maison, moitié parpaings et ciment,
moitié bambou et nipa, dans le Barangay Sapang deux, à environ cinq cents
mètres de notre habitation. Je crois me souvenir que l’endroit était sombre,
car il n’y avait pas ou peu d’ouvertures sur l’extérieur, que c’était bas de
plafond et totalement en désordre. Du linge partout, des CD traînaient sur le
sol mélangés à des jouets d’enfant, quelques livres, des photos ainsi que de nombreuses
bouteilles d’alcool vides.
Les hauts parleurs étant compatibles avec mon équipement, nous faisons rapidement affaire et je lui donne les deux mille pesos demandés. Deux mille pesos qu’il me rendra quelques semaines plus tard en reprenant ses deux speakers.
Soleil couchant sur la baie de Manille, plage du Bucana
Il marchait une centaine de mètres, déposait sa fille,
récupérait la bouteille qui se trouvait dans sa poche, dévissait le bouchon,
portait le goulot à sa bouche et hop… une bonne gorgée pour la route. Si jamais
la bouteille était vide, il déposait Jessica,
enlevait le sac à dos qu’il portait à l’épaule, fouillait dans ce
dernier et en retirait un nouveau flasque qui, après une rasade, se retrouvait
automatiquement dans sa poche. Il tombait rarement en panne. Mais parfois,
désargenté, il passait à la maison, ma
maison, afin de se faire payer à boire. Sauf dans les périodes où l’argent se
faisait rare, il n’était pas radin et m’offrait régulièrement un coup, voire
plusieurs, quand je passais chez lui.
Mais, afin de vous présenter un peu mieux le personnage
et surtout ses aventures philippines, je vais vous conter trois anecdotes.
J’étais témoin dans deux des épisodes, mais pas dans le troisième et je vais
donc commencer par ce dernier.
Un jour, alors qu’il s’en revenait de Manille où il avait
récupéré sa pension, certainement très assoiffé des deux heures qu’il venait de
passer dans le bus, il se fait arrêter à Naïc, à l’intersection de la High Way
et de la route qui va en direction de Trece
Martires. Il pouvait être cinq heures de l’après-midi et, en bon
connaisseur du coin, il savait qu’il lui serait possible de se désaltérer dans
un des bars qui se trouvent dans ce secteur. L’endroit peut être considéré
comme le Red Light district de Naïc et se composait, à l’époque, d’une douzaine
de bars avec hôtesses, des GRO comme l’on dit ici, pour Guest Relation Officer.
En fait des bars montants, bien que dans ce secteur on ne monte pas beaucoup,
toutes les constructions sont de plein pied.
Maisons coloniales, ville de Taal
Ce que je sais par contre, il me l’a un
jour raconté et j’ai eu confirmation de l’histoire par un policier de
Maragondon, c’est qu’il est arrivé fort tard, ou plutôt de très bonheur dans
cette ville. Ville qui se situe à deux
kilomètres avant Ternate en venant de Manille.
Il faut savoir qu’il ya encore quelques années, une seule
compagnie de bus desservait Ternate, la compagnie Saulog. Le dernier bus de cette compagnie devait
quitter Manille aux environs de vingt heures trente et arriver à Ternate vers
vingt-trois heures trente. La plupart des bus en provenance de la capitale
s’arrêtaient alors à Naïc, mais deux ou trois compagnies devaient avoir un
terminus à Maragondon.
Je présume que notre Thony, saoul comme une bourrique sur le bord de la High Way, est monté dans le premier bus qui passait et que ce dernier l’a transporté jusqu’à Maragondon. Maragondon où… tout le monde descend.
Notre Thony, maintenant saoul comme un cochon, n’oublions pas qu’il a toujours au minimum un flasque d’Emperador dans ses poches, se met, alors qu’il doit être entre deux et trois heures du matin, à la recherche de son domicile.
Il est fatigué, il faut qu’il se couche, il n’en peut plus. Oui, mais il a oublié qu’il se trouve à Maragondon, pas à Ternate.
Il cherche, il passe dans une ruelle, puis dans une
autre, revient sur ses pas, part dans une nouvelle direction, s’arrête ;
Il sort le flasque de sa poche, dévisse le bouchon, une bonne gorgée, puis une
autre pour faire bonne mesure, le temps de se donner un peu de réflexion, de se
souvenir. Il repart en titubant, de plus
les ampoules anémiques de l’éclairage municipal ne donnent que des lueurs
blafardes. Ah, il lui semble reconnaitre cet endroit… en tournant à gauche,
puis à droite dans cette petite ruelle… oui, c’est ça, ici, cette maison. Il cherche
dans ses poches, dans son sac, mais ne trouve pas ses clés. Pour lui, dans son
délire alcoolique, aucun problème, ce n’est pas la première fois que cela lui
arrive. Un peu d’élan, un grand coup d’épaule et la porte est ouverte avec
fracas.
Environs du lac Taal
Mais c’est qu’il n’est pas content notre Thony à la vue de ce couple apeuré.
Il engueule les deux vieux, les invectives, leur demande ce qu’ils font dans sa demeure en pleine nuit… puis s’écroule sur le sol et se met à ronfler, terrassé par l’alcool.
Il engueule les deux vieux, les invectives, leur demande ce qu’ils font dans sa demeure en pleine nuit… puis s’écroule sur le sol et se met à ronfler, terrassé par l’alcool.
Les voisins, alertés par les deux petits vieux, vont
venir tenter de réveiller l’ivrogne et de le sortir de la maison.
Mais il ne veut rien savoir le Thony, il ne veut pas bouger, il veut qu’on le laisse dormir. C’est la police qui, arrivée sur les lieux, va l’amener au poste pour quelques explications. Il s’en sortira bien, n’ayant à régler que le coût de réparation de la porte ainsi que quelques milliers de pesos pour la peur qu’il a causée au petit couple de personnes âgées (cinq ou si mille pesos je crois).
Un jour, alors que nous nous trouvions sur la terrasse de
ma maison à siroter quelques boissons fermentées, nous en sommes venus à parler
pêche. J’avais, lors de l’achat d’une précédente Bangka, hérité d’une quinzaine
de filets de pêche. Filets que je n’avais jamais utilisés, trouvant la pose, et
la récupération de ces derniers, particulièrement difficile, pénible et surtout
fatigante. De plus, le filet c’est plus de la pêche professionnelle, alors,
plutôt que de concurrencer les pêcheurs locaux, j’ai toujours préféré et de
loin, la pêche de détente ; la palangrotte à main, qui permet de bien
sentir le poisson, le lancer léger et un peu de petite traîne.
L’ami Thony, se trouvant fort désargenté à cette époque,
me fait savoir qu’il a pêché au filet en Alaska et qu’il sait comment poser ces
derniers. Son intention serait d’attraper suffisamment
de poissons afin de les vendre à son entourage et de se faire ainsi quelque
menue monnaie. J’avoue que je ne suis pas très chaud pour la chose, de plus
commençant à connaître un peu le phénomène, je peux dire que je suis très hésitant.
Barques de pêche sur leurs baraan à marée basse
Et bien non, le phénomène est là, alors qu’il fait encore
presque nuit et qu’il doit être dans les six heures… du matin !
Je lui offre un café, nous discutons un peu et je lui dis de repasser vers neuf heures ;
du fait de la marée basse, nous ne pouvons sortir la Bangka à cette heure
matinale, mais vers neuf heures cela devrait aller
Huit heures et demie, il arrive ; il doit être
réellement fauché pour avoir une telle motivation.
Les filets, le matériel de pêche, une rame, deux ancres, l’outillage pour le moteur, l’essence, la glacière avec des boissons fraîches, les appâts, en l’occurrence une dizaine de petits calamars, des cordages… il nous faudra faire deux voyages pour tout emmener à la barque. C’est lui qui porte les filets, huit filets, ce qui nous donne une longueur totale de huit cents mètre et à quatre à cinq kilos de plomb par filet, il est chargé comme un bourricot le Thony.
Les filets, le matériel de pêche, une rame, deux ancres, l’outillage pour le moteur, l’essence, la glacière avec des boissons fraîches, les appâts, en l’occurrence une dizaine de petits calamars, des cordages… il nous faudra faire deux voyages pour tout emmener à la barque. C’est lui qui porte les filets, huit filets, ce qui nous donne une longueur totale de huit cents mètre et à quatre à cinq kilos de plomb par filet, il est chargé comme un bourricot le Thony.
Oh, oui, à la façon dont il zigzag sur la route, il est
vraiment chargé et pas uniquement de filets.
Je lui pose la question : « Tu as bu ? ». Ce à quoi il me répond candidement « Je m’ennuyais à attendre, aussi ai-je terminé une bouteille d’Emperador qui traînait dans la cuisine ».
Je lui pose la question : « Tu as bu ? ». Ce à quoi il me répond candidement « Je m’ennuyais à attendre, aussi ai-je terminé une bouteille d’Emperador qui traînait dans la cuisine ».
Joyeux, partir en mer avec un gars qui est saoul à neuf heures du
matin !
J’explique alors à Thony comment nous allons opérer.
Nous allons nous positionner de part et d’autre de la Bangka, au niveau de la balance avant et pousser pour la faire glisser dans l’eau, je la retiendrai avec une corde passée deux fois autour d’un des bambous du baraan.
Nous allons nous positionner de part et d’autre de la Bangka, au niveau de la balance avant et pousser pour la faire glisser dans l’eau, je la retiendrai avec une corde passée deux fois autour d’un des bambous du baraan.
Simple non ?
Villas de Puerto Azul
La Bangka est maintenant à l’eau, retenue par un cordage que j’ai
enroulé autour d’un bambou.
Tout ce que je vois de Thony ce sont ses jambes, deux jambes qui dépassent du bastingage et qui s’agitent en tout sens.
Tout ce que je vois de Thony ce sont ses jambes, deux jambes qui dépassent du bastingage et qui s’agitent en tout sens.
Il me faudra aller le décoincer, car du fait de l’alcool et de sa
hanche, il est coincé le phénomène.
Se rendre sur le lieu de pêche, poser les filets, passer une partie de
la journée à pêcher, tout ce passe à peu près bien. C’est à partir du moment où
il décide de se baigner que les choses vont se gâter.
Lorsque je lui avais demandé s’il savait nager, il m’avait répondu qu’en tant qu’ancien ‘’Seal’’, cela ne lui posait pas vraiment un problème. Les ‘’seals’’ se sont ces commandos spéciaux qui prennent part aux missions les plus difficiles, les plus dangereuses aussi. Spécialistes des sauts en parachute, des plongées sous marines aux limites de l’extrême, du maniement des armes de toutes sortes, des sports de combat, etc. De véritables surhommes hyper entraînés.
De ce fait je ne me suis pas inquiété pour lui quand j’ai entendu un
grand plouf qui indiquait son entrée dans l’élément liquide. Mais, après
peut-être une minute, j’ai eu comme un pressentiment, je me suis mis debout et
je l’ai cherché du regard. Rien en vue. Ah, peut-être là-bas, au bout de la
balance, il semble y avoir comme un remous, le seal semble avoir retrouvé son
élément. Sa tête apparait, disparait, apparait de nouveau… bouche ouverte, il
tousse, crache…
Le ‘’klong’, il est en train de se noyer notre seal ! Je plonge,
arrive jusqu’à lui, le soutiens, je fais gaffe, car il aurait tendance à me
faire couler, je l’invective et lui montre comment s’accrocher au flotteur de
la balance.
Le monter sur la barque, chose qui demande quelques acrobaties qu’il
est incapable de réaliser, va prendre du temps.
Il se conforte avec une grande rasade d’Emperador, une bouteille
sortie de son sac à dos et qu’il s’était bien gardé de me montrer.
Bangka sur la plage de Kamandag
Thony récupère quelques kilos de
poissons qu’il va vendre dans son voisinage.
Un après-midi, alors que je me trouvais sur le balcon à lire, arrive
un Philippin tout essoufflé. C’est un jeune homme que je connais de vue et qui
me dit « Quick you go to Thony house, he needs you ».
Je demande des explications, mais rien… soit le vocabulaire en anglais
du jeune homme est par trop limité, soit il ne souhaite rien me dire. Direction
la maison du phénomène ; que lui est-il arrivé de nouveau ?
Il habite désormais dans la maison de Brian, un sergent anglais arrivé
pour effectuer du déminage aux Philippines après la guerre et qui n’est jamais
reparti. Brian étant décédé il y a quelques années, son épouse loue ce qui
était leur maison.
Une seule pièce, immense ; les cloisons qui délimitaient
anciennement les pièces ont été enlevées, totalement détruites par les
insectes. La charpente de bois est sérieusement attaquée elle aussi, le toit
menace de s’effondrer.
Et notre Thony est là, allongé sur son lit de fer blanc qui ressemble à un lit d’hôpital. Sa tête est ceinte d’un bandage, ce qui le fait ressembler à un blessé de la Grande Guerre.
Et notre Thony est là, allongé sur son lit de fer blanc qui ressemble à un lit d’hôpital. Sa tête est ceinte d’un bandage, ce qui le fait ressembler à un blessé de la Grande Guerre.
À mon arrivée il essaye de se lever, avec semble-t-il pas mal de
difficulté et se sert du seul fauteuil qui lui reste comme d’un déambulatoire. Que s’est-il passé ?
« Hier soir, alors que je rentrais tranquillement, j’ai été
attaqué par quatre gars et un cinquième m’a assommé par derrière avec une pierre, alors que je faisais face à
mes premiers agresseurs. J’ai perdu connaissance et lorsque j’ai repris
conscience je ne pouvais plus bouger ». « Il y avait du sang partout
et j’avais terriblement mal à la hanche, là où se trouvent des broches ;
j’ai réussi à ramper jusqu’à la maison, j’ai fermé la porte avec beaucoup de
difficulté et je suis resté sur le sol, sans bouger durant toute la
nuit ». « Ce n’est que ce matin qu’il m’a été possible de rejoindre
mon lit ».
Cela ne m’étonne nullement qu’il se soit fait agressé. Lorsqu’il est
saoul il devient méchant, insulte les gens, les jeunes comme les vieux, se
moque de ses voisins et parfois provoque des bagarres. Comme je présume qu’il
était totalement imbibé, les autres, qui ne s’y seraient pas frottés s’il avait
été à jeun, ont profité de son état d’infériorité pour lui donner une sévère correction.
Il s’en remettra, si seulement cela pouvait lui servir de leçon…
L'île de Corregidor et Bataan
Aux dernières nouvelles, qui ne datent pas d’hier, car
cela doit faire sept à huit ans qu’il a quitté Ternate, il était en route pour
la province de surigao del Sur, en bordure du lac Mainit. C’est de cette lointaine province que
sa (alors) nouvelle compagne, enceinte, était originaire. Il avait décidé de réparer la maison
familiale et de s’y installer.
Des phénomènes, des originaux, des cinglés, des frappadingues,
des azimutés, des cinoque, des siphonnés, des mabouls, des dingues, des
irresponsables, des fêlés et des foldingues… j’en ai rencontré dans ma vie d’expatrié
et vous en rencontrerez aussi, donc soyez préparé. Ils semblent être nettement
plus nombreux dans les pays qui ne sont pas les leurs.
Je souhaite à tous et à toutes une excellente fin de
semaine.
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