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Sunday, July 7, 2013

TONDO ... LA SMOKEY MOUNTAIN !

Mais qu’est devenue la ‘’Smokey Mountain’’ ?

A quelques encablures, au nord du quartier touristique d’Ermita, du Parc Rizal ou du Manila hôtel se trouvent les vestiges de l’infâme ‘’Smokey Mountain’’.

Mais qui de nos jours se souvient encore de la ‘’Smokey Mountain’’ ?

Et pourtant, la Smokey Mountain fût une des plus grandes décharges d’ordures ménagères au monde.

Située sur la partie nord du port, à Tondo, un des plus anciens quartiers de la ville de Manille, cette colline d’ordures plutôt qu’une montagne, brûlait en permanence vingt-quatre heures sur vingt-quatre et ce trois cents soixante-cinq jours par an. Durant plus de quarante ans cette montagne d’ordures n’a pas arrêté d’enfumer les quartiers nord de la capitale des Philippines tout en y répandant des odeurs pestilentielles.

De nos jours il n’en reste plus qu’une colline envahie d’herbes où poussent quelques arbres. Les taudis faits de planches, de carton et de papier qui l’entouraient, ont été remplacés par quelques petits bâtiments colorés de style HLM. Oh, ce n’est pas un quartier touristique et les visiteurs étrangers, même de nos jours, y sont extrêmement rares.

Des 30.000 personnes qui gagnaient leur vie sur le tas d’ordure fumant, seuls quelques milliers ont été relogés dans les petits bâtiments de six étages qui se trouvent sur la partie Est de l’ancienne décharge.

Pour vous la situer, nous dirons que la décharge était bordée au Nord par la rivière Navotas et au sud par la rivière de Tondo ; entre les deux une distance de cinq à six cents mètres entièrement occupée par la colline d’ordure. La partie Est a été aplanie afin de permettre la construction des bâtiments de style HLM. A l’Ouest, une avancée de terre et de béton sur la Baie de Manille, avancée dont les fondations sont faites d’ordure compactées.


Au sud, le long de la rivière de Tondo, il existe encore de nos jours des taudis montés sur pilotis et qui empiètent sur la rivière. Souvenirs de la Smokey Mountain.

Les plus pauvres parmi les très pauvres y ont trouvé refuge.


Pendant plus de quarante ans des familles entières, plus de 30.000 hommes, femmes et enfants ont vécu à côté ou directement sur cette montagne fumante et malodorante dont ils tiraient leurs maigres ressources.

Papier, carton, bouteilles de verre et de plastique, bouts de ferrailles, tout ce qui pouvait être revendu était ramassé, trié, nettoyé parfois, pesé et terminait chez les récupérateurs.

Chaque matin, ils partaient armés d’un crochet de fer, d’un panier ou d’un sac et chaussés de bottes, à l’assaut de la montagne. Ils grattaient, fouillaient et récupéraient ce qui était récupérable ; de ce que les camions bennes déversaient, des ordures sur des ordures.

Excréments, nourritures avariées, produits toxiques, fumées nocives … et pourtant, trente mille personnes vivaient et travaillaient dans cet environnement particulièrement dangereux. 

C’était leur vie, une vie de charognards, d’esclaves des temps modernes, une vie sans avenir, sans espoir, seul l’instinct de survie leur permettait de résister et de tenir.



Aucune chance de pouvoir échapper à cette misère qu’il est impossible de décrire par de simples mots. C’était encore pire que tout ce que vous pourriez imaginer. Même Oliver Twist ou la  petite Cosette sont loin d’avoir enduré ce qu’ont pu endurer certains des enfants présents dans cet environnement.

Malnutrition, pas de scolarisation, pas d’accès à l’éducation, pas ou très peu d’hygiène, pas de soins médicaux, les fumées qui leurs brûlaient les poumons, le travail avec le ventre souvent creux, la fatigue… mais comment ont-ils fait ?

Un lieu sans foi ni loi, où la violence régnait, où les crimes étaient fréquents et où la police n’intervenait que rarement, un coin de jungle au cœur de la mégalopole

L’espérance de vie devait y être des plus réduites, le taux de mortalité infantile y était sûrement un des plus élevés au monde.


Mais qui étaient-ils ?

Quatre vingt-cinq pour cent des personnes qui résidaient sur ou autour de la ‘’Smokey Mountain’’ venait des provinces les plus pauvres du pays. Après un typhon ou une autre calamité naturelle qui avait dévasté leurs maigres cultures et qui les avait laissés sans aucune possibilité de se nourrir, nombreuses étaient les familles décimées par la malnutrition et la maladie.




En plus de souffrir des calamités naturelles, ils devaient également faire face aux mouvements d’insurgés locaux. Des hommes armés qui les réveillaient en pleine nuit pour leur demander une contribution en faveur de leur mouvement. Des médicaments et de la nourriture, qui étaient gentiment demandés une arme pointée sur la tempe, ce qui réduisait considérablement leurs maigres ressources.

Au petit matin, c’étaient les soldats qui arrivaient et qui les accusaient d’être des rebelles ; viols, interrogatoires musclés, tortures, emprisonnements, disparitions, assassinats…

Ceux qui avaient survécu réunissaient leurs pauvres ressources, vendaient le peu qu’il leur restait et venaient tenter leur chance dans la capitale. N’avaient-ils pas entendu parler d’un tel qui avait fait fortune, de cet autre qui envoyait régulièrement de l’argent à sa famille restée au pays ?

Oui, mais là où un réussit, dix mille vont vivre l’enfer.


Les extorsions, les crimes, les meurtres, les assassinats, les disparitions, étaient le lot commun des paysans de nombreuses provinces philippines dans les années 1950 à 1990.
Vous commencez maintenant à comprendre pourquoi certains n’hésitaient pas à faire tout, mais je dis bien tout, pour sortir de cet enfer.

Vous comprenez peut-être maintenant pourquoi certaines jeunes filles, les plus belles d’entre elles tout du moins, souvent presque des gamines, préféraient aller se prostituer auprès des GI américains.




Pour elles mieux valait gagner un peu d’argent avec leur chair, plutôt que de se faire régulièrement violées dans les taudis infâmes de la Smokey Mountain. Un petit nombre d’entre elles s’en est sorti, la majorité a terminé dans la drogue, l’alcool ou la maladie. 

Si l’on ne parlait pas de Sida dans les années 70 et 80, la tuberculose et les pneumonies faisaient des ravages sur ces personnes souvent faibles de constitution.


‘’Tondo’’… même de nos jours, si vous mentionnez ce nom à des habitants de Manille, ceux-ci vont vous regarder comme si vous arriviez de Mars ou d’une lointaine planète. « Mais pourquoi voulez-vous aller là-bas ? ». « C’est dangereux, ce n’est pas sûr … n’y allez pas ! »

Durant de longues années Tondo était connu comme le pire des taudis de la ville de Manille.
Et pourtant Dieu sait s’il y avait de la concurrence.  

Maintenant si vous parlez à des Philippins de la Smokey Mountain, ils vont vous regarder avec un mélange de honte et d’horreur. Ce n’est pas spécialement une image du pays que le Ministère du Tourisme souhaite vouloir propager et promouvoir auprès des touristes.

Durant des décennies les ordures de la capitale philippine ont été entassées à cet endroit.
Les parties gagnées sur la mer l’ont été en jetant les ordures compactées dans la baie de Manille.
Petit à petit une ville s’est construite à cet endroit, une ville faite de bric et de broc, de bois, de toiles, de cartons, de papiers, une ville de trente mille habitants sur quelques centaines de mètres carrés.

Les quelques puits, du fait de la proximité de la mer, donnaient une eau salée, puis une eau empoisonnée du fait de la décharge et des infiltrations des eaux durant la mousson.



Les gens qui vivaient ici se trouvaient en dessous du premier barreau de l’échelle sociale locale, avec peu de chance de jamais pouvoir grimper cette échelle.

Le nouvel arrivant connaissait toujours une personne installée, qui allait se serrer un peu pour lui permettre de monter sa cabane, son abri dérisoire face aux éléments climatiques dévastateurs que connaissent les Philippines.

Et là, dès le lever du jour, hommes femmes et enfants partaient à l’assaut de la montagne, à la recherche de ce qui pourrait être revendu au ferrailleur du coin. Le repas du midi allait dépendre de ce qu’ils auraient ramassé le matin, celui du soir de ce qu’ils auraient trouvé dans l’après-midi.

Rien à vendre au ferrailleur, rien à manger.


Emigrés qui arrivaient à Manille en provenance de leurs lointaines provinces, tous étaient à la recherche d’un emploi, d’un job. Incultes pour la plupart, pas de jobs pour eux ; pas d’argent pour pouvoir retourner ; plus de terres à cultiver … le piège se refermait rapidement sur eux et la seule solution l’infâme Smokey Mountain. Pas d’autres choix, la montagne d’ordures ou la mort.

Certains choisissaient d’autres voies en créant leurs propres jobs, souvent comme vendeurs à la sauvette. Ils revendaient des cigarettes et des bombons, des journaux, de l’eau fraiche, des serviettes et autres bricoles qu’ils proposaient aux automobilistes coincés dans les embouteillages monstrueux de la capitale.

Ils ont fait n’importe quoi pour survivre et ce, étonnamment, toujours avec le sourire.

Il va sans dire que Tondo, ce quartier de Manille, là où vivaient les plus pauvres parmi les très pauvres, a rapidement gagné une réputation de dangerosité extrême. Drogues, gangs, trafics divers, y régnaient en maîtres, ce à quoi il faut ajouter un fort taux de criminalité. Si nous additionnons à cela que la Smokey Mountain se trouvait dans une zone portuaire, avec tout ce que cela implique comme délinquance … il ne faisait pas bon se promener à Tondo il y a encore quelques décennies.

De nos jours c’est loin d’être le paradis, néanmoins il est possible de s’y rendre sans systématiquement se faire agresser, même pour un Kano.


Vous allez me demander comment  je sais tout cela ?
Tout simplement, je m’y suis rendu … plusieurs fois.

Il y a encore quelques ordures qui se déversent sur et autour de la Smokey Mountain et j’ai pu voir des enfants qui escaladaient et fouillaient la montagne.

Verre, plastique et ferrailles ont disparus depuis longtemps, ces enfants, souvent très jeunes, sont à la recherche de morceaux de bois que les parents vont transformer en charbon pour ensuite le vendre.

Une fois la récolte de bois suffisante, le père et la mère vont préparer une meule, y mettre le feu et la recouvrir de terre. Les enfants seront alors chargés d’apporter, souvent de loin, les centaines de litres d’eau nécessaire à stopper la fournaise. Un travail de forçat.

Les photos des enfants charbonniers sont à mettre au crédit de




Ceci est un côté des Philippines que bien peu d’étrangers connaissent et que pas un touriste ne soupçonne. C’est un autre monde, un monde qui n’a rien à voir avec les grattes ciel de Makati ou de Fort Bonifacio, un monde sans larges avenues bordées d’arbres, un monde sans Centres Commerciaux géants, mais un monde bien réel.

Il n’y a rien d’artificiel à Tondo, nous y retrouvons la vie que vivent la plupart des Philippins.
Peut-être que les touristes devraient y venir faire un tour, car ceci est la vraie vie philippine.

C’est vivant, animé, ça bouge et ça remue. Il y a ici et là de petits marchés que l’on nomme ‘’Palenke’’, des vendeurs de rues autant que vous en voulez, des ruelles étroites adaptées aux ‘’calesas’’, ces carrioles tirées par un petit cheval, des coiffeurs qui officient dans la rue et le bruit, le bruit de la vie, amplifié par les cris des gamins qui sortent des écoles.

Cet endroit respire la vie simple du  Philippin traditionnel, il n’y a rien d’artificiel, tout est naturel.

En tant que simple visiteur, vous ne pouvez même pas seulement commencer à comprendre la culture, les raisons pour lesquelles les choses se passent ou se font de telle et telle manière, sauf si vous passez de l’autre côté du miroir. Sauf si vous allez regarder l’autre côté de la vie, loin de la modernité des quelques nouveaux quartiers de la capitale.

Je précise qu’à aucun moment je n’ai eu peur, qu’à aucun moment je n’ai eu l’impression que je mettais ma vie en danger, même si les regards se font parfois un peu plus insistants, « Mais que vient donc faire ici ce Kano ? »   

La méconnaissance, la peur de rencontrer des pauvres, des malheureux ou la réputation passée de la Smokey Mountain, font que les étrangers ne s’en approchent pas ? 



Je vous invite à visiter, à apprendre, à essayer de comprendre et simplement à apprécier ce que cela représente. Les gens qui vivent dans cet endroit sont des Philippins, tout juste comme sont les autres habitants de ce pays … aussi souriants, amicaux et persévérants que les autres. Apprenez à les connaître.

Même si la Smokey Mountain n’est plus ce qu’elle était, l’ambiance y est spéciale. Cela vous permettra peut-être d’imaginer ce qu’à pût être cette ville de 30.000 miséreux, peut-être même rencontrerez-vous de ces enfants charbonniers.


Non loin de là se situe Divisoria, un peu le marché de gros de l’archipel. L’on y trouve de tout, sans l’air conditionné, mais à des prix nettement plus abordables que ceux proposés, pour les mêmes produits, dans les Centres Commerciaux des quartiers huppés de la capitale.

Pour une autre fois, pour un autre post.



Expériences, critiques et commentaires, comme d’habitude sont les bienvenus.


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